La souffrance au pays du travail social

Depuis toutes ces années que je connais le monde merveilleux du travail, ayant même exercé des activités pénibles comme le travail à la chaîne et la manutention, je suis obligé de constater aujourd’hui qu’il y a de nombreuses manières de souffrir de son travail.

J’occupe la fonction d’éducateur depuis presque 10 ans. Durant tout ce temps, j’ai eu le temps de réaliser que le travail social, malgré l’adjectif qui qualifie ce secteur, est avant tout du travail et donc porte en lui les mêmes dangers que l’on reproche au salariat.

C’est-à-dire « bosse comme on te dit et ferme ta gueule» !

J’en ai entendu des discours sur les valeurs associatives et les projets communs : « allons tous main dans la main vers un avenir meilleur, nous faisons tous partie de la même famille ».

Mon témoignage de travailleur social syndiqué et militant a pour but de transmettre ce que j’ai appris à travers cette triste expérience.

C’est une invitation à se méfier des beaux discours qu’on nous sert tout au long de notre carrière, surtout dans le secteur associatif, qui, derrière ses prétentions humanistes, nous cachent ses velléités de contrôle des masses et de mise au pas des résistances, comme dans toute entreprise.

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Je suis travailleur du social depuis maintenant 14 ans, j’exerce ce merveilleux métier dans un SSESD qui dépend d’une association, LADAPT pour ne pas la nommer. Quand j’ai commencé dans cette structure, j’étais emploi jeune, et moins engagé syndicalement qu’aujourd’hui. Depuis, les choses ont changé et ma conscience ayant pris le dessus, j’ai pris le parti de l’assumer et de me positionner face à ma direction en essayant d’apporter de la contradiction face aux dérives que je constatais. Et en l’espace de 3 ans, je suis devenu la personne à abattre. J’ai donc accumulé les sanctions, d’abord des avertissements, puis dernièrement, 2 tentatives de licenciement.

Tous les reproches y sont passés : insubordination, monopolisation de la parole en réunion, non-respect des procédures, pseudo secret médical, insuffisance professionnelle… Cela faisait suite à des critiques de ma part sur le manque de prise en compte de notre parole, de changements dans l’organisation de notre travail L’exemple le plus parlant concerne un avertissement dont j’ai fait l’objet en avril 2013. Au départ il y avait un désaccord entre ma coordinatrice et moi sur un courrier que j’ai fait pour un jeune et dans lequel à sa demande et celle de sa famille, j’ai apporté des précisions sur son handicap. Je suis donc allé voir ma directrice pour la tenir au courant du désaccord, celle-ci me répond que je dois voir cela avec le médecin. Je vais donc voir le médecin et m’explique avec elle. Et donc l’affaire semblait être réglée.

Alors quelque temps avant, j’étais intervenu lors d’une grande messe durant laquelle notre directrice nous faisait la présentation d’un document qui serait utilisé dans le cadre de nos entretiens individuels d’évaluation. Quel ne fut pas mon étonnement, de recevoir une convocation concernant un avertissement, au sujet de cette lettre et d’insuffisances professionnelles. Je tiens à préciser que ce qu’ils définissent comme des insuffisances professionnelles, c’est de ne pas avoir fait des choses dans mon travail, qu’ils pensent que je devais faire comme si mes pratiques avec chaque jeune étaient standardisées. Entre un jeune et un autre, heureusement, on ne fait pas systématiquement les mêmes choses car on n’a pas forcément les mêmes objectifs, du fait de leurs parcours et de leur âge. En clair, comme je l’avais fait remarquer à ma directrice pendant l’entretien pour l’avertissement; quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage.

Même anarchiste et sûr de tes droits, ça fait mal à la gueule quand ton travail on broie.

Et tout récemment, alors que je débutais mon mandat de Délégué du Personnel et que j’intervenais auprès d’une collègue en souffrance, la direction n’a pas trouvé mieux que de déclarer que la situation de cette collègue ne dépendait pas du mandat de DP et d’engager une procédure de licenciement  suite à des échanges un peu houleux.

Le pouvoir qu’ils détiennent est selon moi, en plus des pouvoirs d’embauche et de licenciement, de décider de manière unilatérale ce que se doivent d’être nos places et nos fonctions à l’intérieur de leurs organisations, non pas pour que le travail soit bien fait, mais pour s’assurer que la paix social règne au royaume de la rentabilité.et de l’efficacité. C’est d’ailleurs la finalité première du management.

Et j’en ai pour preuve le mal qu’ils se donnent à nous faire appliquer des procédures «de qualités » que nous héritons de la loi 2002-2. Procédures qui nous prennent du temps et de l’énergie dont nous manquons déjà pour accomplir notre mission d’accompagnement. Elles sont selon moi la traduction de la velléité des pouvoirs publics d’introduire les méthodes managériales dans notre secteur.

Nos « manager » sont même capables, de nous sanctionner au regard de ces procédures, alors que nous faisons bien notre travail. En définitif, c’est souvent un prétexte pour justifier toutes formes de répression de l’expression de nos droits.

Salah