De mineur isolé à majeur esseulé

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Bilal est arrivé en France à 17 ans, juste après le « printemps arabe »1. Après une traversée en bateau, il débarque sur une plage en Italie avec ses compagnons de galère. L’accueil n’est pas celui qu’il attendait. Des habitants assez hostiles à l’étrangeté le poursuivent sur la plage. Leur détermination lui fait vite comprendre que ce n’est pas un jeu animé par la télévision locale. Il décide de franchir la frontière et se retrouve en France.

Après quelques jours d’errance du côté de Marseille, il croise une personne de son pays qui lui conseille d’aller à Paris. Lorsqu’il arrive en région parisienne, il se rapproche d’une association d’« aide » aux demandeurs d’asile. Il obtient assez rapidement le statut de Mineur Isolé Etranger sur le territoire. Une mesure de protection confiée à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) est ordonnée par le tribunal pour enfants. L’ASE qui assurera un « accompagnement éducatif » financera également une chambre d’hôtel qui sera son lieu d’hébergement.

Après s’être installé, pour se faire un peu d’argent, il revend quelques grammes de cannabis que la rue lui avait gentiment offert. Arrêté sur-le-champ, il se retrouve de nouveau devant le tribunal pour enfants. Le magistrat ordonne une mesure judiciaire préjudicielle2 confiée à un service de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Le bon « élève »

Lors de ses premières rencontres avec son éducatrice PJJ, il fait part de sa volonté de faire une formation. Elle démarche auprès des services d’insertion de la PJJ et Bilal entame quelques jours après une formation professionnelle.

Conscient des enjeux liés à sa situation de sans-papier, il fait ce que les institutions attendent de lui : il est assidu en formation et ne rate pas les rendez-vous avec ses éducateurs (ASE et PJJ). Il trouve néanmoins que « l’ASE, à part l’hôtel qu’elle paie, elle sert à rien », mais il reste toujours très poli et souriant. Et même, il prend goût à la formation qu’il a entreprise.

Pas de chance !

Pour s’en sortir et espérer un jour obtenir une régularisation, il doit montrer qu’il est prêt à faire ce qu’il faut pour « s’intégrer ». Avec la formation qu’il a commencée et pour laquelle il montre un réel intérêt et des « compétences », l’idéal est de signer un contrat d’apprentissage et de pouvoir commencer à envisager une once d’autonomie. Problème. Il n’a pas de papiers d’identité et ne peut donc prétendre à signer un quelconque contrat.

Fin décembre 2012, il est toujours en formation, mais il a perdu le sourire. Il angoisse.

Dans deux mois, il est majeur. L’ASE n’a pris aucun engagement pour continuer un accompagnement dans le cadre d’un contrat jeune majeur3. Le département, comme tous les financeurs qui invoquent la crise, dit ne plus avoir d’argent. Les mineurs étrangers isolés qui deviennent majeurs ne sont plus son problème. Les éducateurs ne font souvent plus les démarches, pensant que cela n’aboutira pas. De son côté, la PJJ ne propose plus de « protection jeune majeur »4 ou alors sans financement.

Condamné pour être hébergé

Quelques jours avant sa majorité, Bilal doit comparaître pour une dernière audience devant le juge des enfants. Il s’agit d’une affaire de recel de portables. Lors de la garde à vue concernant cette affaire, il n’y avait ni avocat ni traducteur, et il n’a pas vu de médecin. Il dira à son éducatrice qu’il n’avait même pas compris qu’il était en garde à vue : la police lui avait téléphoné et demandé de passer au commissariat pour un témoignage.

À première vue, d’un point de vue de la défense juridique, cette audience ne doit pas poser problème. Sans être avocat, les vices de procédures à soulever sont assez criants. Et pourtant…

À la veille de ses dix-huit ans, au-delà de ce procès, l’enjeu pour Bilal c’est de trouver une solution d’hébergement.

Jusque là, en tant que mineur, il était hébergé par l’Aide Sociale à l’Enfance. Après sa majorité, rien n’oblige cette dernière à continuer sa prise en charge. Il a fait une demande de contrat jeune majeur, mais n’a pas eu de réponse.

Bilal est dans l’incertitude. Si l’avocat soulève les vices de procédures, il en aura fini avec la justice. Cela signifie qu’il en aura également fini avec la PJJ, la seule alternative à l’ASE susceptible de lui garantir un hébergement.

La « solution » viendra d’une stratégie ubuesque qui consiste à faire condamner quelqu’un pour le protéger. En effet, l’avocat ne soulèvera pas les vices de procédures et laissera le tribunal condamner Bilal à une mesure de protection judiciaire, qui malgré son intitulé reste une condamnation pénale5. Cette mesure lui permettra d’être hébergé pour une période d’un an. Qu’adviendra-t-il alors pour son prochain anniversaire ? Une autre période de stress ? L’attente de la part des institutions qu’elles décident de son sort ? La rue ? L’expulsion ? Un sursis éducatif de quelques mois ?

Pour couronner le tout, une semaine après l’audience, Bilal reçoit un appel des services de l’ASE. Un éducateur l’informe que la réponse pour un contrat jeune majeur est positive, et ce pour une durée de 6 mois. Bilal leur demande qui l’hébergera après cette période. L’éducateur, impuissant, ne sait pas. Il rappellera l’éducateur quelques jours plus tard pour lui dire : « je ne veux plus être à l’ASE ».

Bruno

1 Je reprends ici les termes tels qu’ils m’ont été rapportés.

2 Mesure ordonnée avant le jugement afin de permettre un travail éducatif et exercé par un éducateur ou éducatrice de la PJJ.

3 Le contrat jeune majeur (CJM) permet une prolongation après la majorité de la prise en charge de certains jeunes (de moins de vingt et un an) considérés comme méritants afin qu’ils puissent terminer leurs études ou leur formation.

4 La protection jeune majeur (PJM) est une mesure similaire au CJM , mais elle est confiée aux services de la PJJ

5 Les jeunes mineurs jugés après leur majorité sont jugés en tant que mineurs. C’est l’âge au moment des faits qui est pris en compte et non l’âge le jour de l’audience.