A l’épreuve de la communauté…

« En communauté Emmaüs c’est un peu comme partout, tu ne sais jamais comment ça va dégénérer ».

8h du matin c’est l’arrivée du responsable et de ses règles dans la communauté. Les compagnons de longue date se dirigent vers leur poste de travail : les uns trient et mettent en rayon les vêtements, les autres rangent les livres et les restaurent, fixent les prix des petits bibelots, réparent les machines à laver… Un chauffeur et un ripeur partent récupérer les dons.

Les nouveaux arrivants et les Travaux d’Intérêts Généraux n’ont pas de poste attitré. Ils sont chargés du ménage du lieu de vie, de la salle des ventes, des toilettes… Chacun dispose d’eux, on les envoie faire de petites commissions, acheter des cigarettes…

Certains n’ont pas encore de chambre. Ils dorment dans les parties communes où il faut qu’ils supportent d’être dérangés, accusés, surveillés, utilisés à tout moment.

La communauté est ouverte au public trois jours par semaine. Le reste du temps on lave, on répare et surtout on jette.

Démonter, casser, jeter c’est le sale boulot à la communauté. Un poste de travail éprouvant physiquement. Tout le monde n’y est pas affecté. C’est le poste des Tchétchènes, maghrébins, arméniens et des Travaux d’Intérêts Généraux.

« En ce moment c’est Momo qui s’occupe des bennes. Algérien, sans papier, mal-voyant. Moi aussi, j’y suis affecté. Tunisien, sans papier, avec une prothèse à la hanche et des épanchements de synovie dès que je fais un effort physique. Ils m’y envoient [aussi] quand ça leur vient, de m’humilier et de me blesser… »

Au-delà des activités de travail, tout est hiérarchisé à la communauté : ce que tu fais, où tu dors, comment on te parle.

Il y a deux bâtiments en dur. Le bâtiment d’origine de deux étages où il y a une vingtaine de chambres, la salle de restauration et la cuisine sont au rez-de-chaussé. Le second bâtiment est une maison louée où il y a quatre chambres. Dehors, il y a deux mobil-home de deux chambres chacun où dorment, en hiver, les personnes en hébergement d’urgence.

La grandeur des chambres va du simple au double, elles sont distribuées à peu près au hasard, mais savoir jouer des coudes peut aider. Chaque chambre ferme à clé et le responsable a le double. Les nouveaux-arrivants ne sont pas à l’abri d’une visite inopinée, d’une fouille

« Evidemment vu tout le matériel qu’il y a à Emmaüs, chacun se sert. Cela va de soi que si vous trouvez un bouquin qui vous plait ou un instrument de musique ou une fringue dont vous avez besoin, vous allez vous servir. Tout le monde le fait, mais ces fouilles dans les chambres sont l’occasion de dénoncer un nouvel arrivant pour vol et de le mettre dehors ».

Il faut savoir que l’accueil est inconditionnel dans les communautés Emmaüs. Les gestionnaires des communautés n’ont pas le choix. Alors ils accueillent tout le monde et montent des stratégies afin de se débarrasser des indésirables ; de trouver une raison légitime pour les exclure (accusations de vol, provocations à la violence) ou de les pousser à partir (humiliations, affectations à des postes de travail trop difficiles…).

Le pouvoir dans la communauté est entre les mains d’un responsable et de ses complices. « Ils nous gueulent dessus comme ça leur vient, sur tous les compagnons et particulièrement sur nous : les nouveaux-arrivants, les sans papiers, les TIG. On doit sans cesse réussir à nous contrôler pour ne pas répondre, ne pas répondre, ne pas répondre… »

Le responsable c’est un employé d’Emmaüs. Il doit gagner dans les 3000 euros auxquels s’ajoutent un logement de fonction à l’extérieur de la communauté et une voiture. Quand il se déplace en réunion à Paris, il prend l’avion et est logé dans un hôtel chic.

Sur la communauté, il n’est présent qu’en semaine. Mais quand il est là, il se fait bien remarquer. Il gueule, il remet en cause, il embarrasse et il humilie les compagnons devant les clients.

« Dès que je suis à l’aise, en paix, complice avec un client ou un bénévole. Dès que je suis autonome dans mon travail. Bref, dès que je m’estime et que ça se voit, il tente de me briser. C’est automatique. Le responsable en public est perpétuellement : cassant, irrespectueux, infantilisant, méprisant. Quand je suis seul avec lui, par contre, il est mielleux. Il explique que son travail est difficile… ».

Le petit pouvoir du responsable s’exerce de cette manière et, de même, par l’intermédiaire de ses complices : trois compagnons « blancs » nommés référents et choisis pour leurs muscles. En bref, une petite bande de nervis qui donne de la voix et fait régner un climat de menaces.

« il y a quelques mois Alpha un jeune, sans papier, étudiant, nigérian est arrivée à la communauté. On mangeait et il a gardé sa casquette. Un des référents lui a crié dessus : « sale nègre, on mange pas avec une casquette, on n’est pas en Afrique ici… ». Alpha avait tout de la victime idéale. Sa couleur de peau : nous sommes perpétuellement insultés, racialisés et son statut d’étudiant : n’importe quel compagnon qui arrive et qui a une activité artistique ou intellectuelle est perpétuellement cassé et humilié ».

Témoignage d’H., compagnon, sans papier

et sans répit dans une communauté Emmaüs